Les ESN et la transparence des coûts et des prix

Parlons argent

Et hop, un nouveau pavé dans la mare.

Cette fois-ci, attaquons-nous à un sujet tabou : l’argent, ou, plus précisément, les formules de calcul du métier et surtout, la transparence des coûts et des prix dans le petit monde des ESN.

La transparence, pour quoi faire ?

Fixons déjà le cadre : pourquoi parler d’argent et de transparence ?

Parce qu’apparemment, ce n’est ni simple ni commun, dans le petit monde des ESN.

Pourtant, outre d’être une valeur « noble », la transparence permet d’expliquer les choses simplement, de poser les problèmes de manière factuelle et d’être ainsi certain que toutes les parties aient un cadre de discussion commun.

Secrets de polichinelle

Déjà, tordons le cou aux « secrets ».

Celui du salaire de Madame Durand ou de Monsieur Martin : les collaborateurs parlent entre eux (et c’est une excellente chose). Alors, sans divulguer d’informations personnelles et en restant évidemment discrets, il est utopique de croire que si, pour des raisons diverses (qui ne sont d’ailleurs pas forcément « critiquables »), vous avez embauché Madame Durand à un salaire 20% plus élevé que Monsieur Martin, vous allez pouvoir garder ceci « secret » et ne pas avoir à gérer des disparités salariales pouvant légitimement poser un souci au niveau de votre groupe.

Ensuite, le taux de facturation de ces mêmes collaborateurs : jadis, lors de mes pérégrinations commerciales sur Paris, il était d’usage, après l’entretien client-collaborateur, de faire « sortir » ce dernier du bureau du client décideur pour parler « argent » sans que ledit collaborateur entende le prix auquel serait facturée son intervention.

Pratique à laquelle je dérogeais systématiquement sachant, pour y avoir été moi-même confronté en tant que jeune développeur en régie, que tout prestataire connaît (plus ou moins vite, mais le résultat est identique) son taux de facturation. Il discute avec son client, avec ses collègues d’autres ESN sur place, etc.

Donc, les salaires et les taux de facturation sont parmi les secrets les moins bien gardés.

Oui, c’est (encore) une évidence, et pourtant, la plupart des ESN persistent à penser le contraire (et surtout, à agir comme tel).

Formules (pas magiques)

Bon, simplifions, pour aller vite.

Pour avoir travaillé avec un contrôleur de gestion d’une major qui étudiait les ventes et les forecast à 5 ans dans le circuit GMS, je sais que tout peut se complexifier rapidement, avec des coûts bruts, nets, nets nets, nets nets nets, voire plus (si si, je vous l’assure, mon alopécie tient aussi à l’arrachage de cheveux de cette époque lointaine mais marquante de ma carrière).

Pour les ESN « classiques », c’est pourtant assez simple. Un salaire, un coût brut chargé et un coût net.

Partant du salaire de votre collaborateur, arriver au coût brut est une simple multiplication dont le taux vous sera donné par n’importe quel comptable (entre 1,5 et 1,55, suivant certains avantages, la prise en compte ou pas des CP et provisions pour CP, etc).

Partant toujours du salaire de votre collaborateur, l’usage dans les ESN est d’appliquer un « coefficient de structure », calculé annuellement, prenant en compte les frais divers, tant humains (les fameux « non productifs », staff commercial, recrutement et autres managers) que matériels (coûts de fonctionnement informatique, téléphonique, marketing, véhicules, locaux, etc).

C’est un peu plus complexe, mais guère, car vous avez toujours un comptable extraordinaire !

En général, suivant la taille de la boîte (plus elle sera petite et « modeste », plus ce coefficient sera faible), ce coefficient tourne « autour » de 2 (1,8 – 2,4 étant la fourchette classique).

Donc, le coût net de votre collaborateur est le double de son salaire.

C’est compliqué, non ? Ah non, en fait…

Calculer une marge brute et une marge nette est donc à la portée d’un élève de CE1…

La transparence, mise en œuvre côté clients

Alors pourquoi en faire de tels mystères ? J’y vois, pour ma part deux raisons principales.

La première étant de pouvoir « mystifier » le client, en masquant le vrai « prix » de l’intervention d’un collaborateur.

Soit le classique : « je vous l’fais à prix coûtant » (on se croirait sur le marché, un dimanche matin, no offense pour mes amis maraîchers qui placent leurs belles salades, mais c’est quand même assez similaire) alors que ce n’est pas du tout le cas, soit en faisant une marge qui n’est pas en rapport avec le profil (en jouant sur l’image, voire un faux salaire du collaborateur…).

La seconde est de pouvoir « calmer » un collaborateur lors de ses demandes d’augmentation. On lui fait de beaux discours sur la marge minable de la mission (personne n’y est pour rien, le marché est mauvais) et on espère que ledit collaborateur comprendra, sera solidaire de sa boîte et retournera tranquillement à son poste.

Alors que…

Si vous expliquez clairement à un client quel est le vrai coût de la personne que vous lui présentez (avec un salaire décent, pour que le collaborateur soit rémunéré à sa juste valeur, qu’il soit satisfait et donc en pleine mesure d’effectuer sa mission dans de bonnes conditions et cela, de manière pérenne), tout en lui montrant que le prix correspond à une marge « raisonnable » qui est nécessaire à la vie de toute entreprise, il n’y a aucune raison que le client ne vous suive pas (ou alors, il fait partie de la caste des « moins disants » et vous n’avez qu’à en chercher un autre, puisque toute relation commerciale doit être équilibrée pour fonctionner sur la durée).

La transparence, mise en œuvre côté collaborateurs

Cette politique de transparence est évidemment aussi applicable aux collaborateurs. Leur expliquer simplement combien ils rapportent (ou coûtent) n’a rien de tabou. L’argent ramené par leurs interventions permet de payer leurs salaires, éventuellement ceux de leurs petits camarades en intercontrat (eh oui, c’est le principe mutualiste, faisant que l’on participe à aider ceux qui en ont ponctuellement besoin…), les investissements qui vont les faire évoluer dans une structure toujours meilleure, etc.

Et lorsque la marge est réellement trop faible (voire nulle), l’explication de ne pas pouvoir attribuer d’augmentation arrive pour tout le monde comme une évidence et non une punition (même si des solutions existent, comme renégocier le contrat, ou changer de mission, mais là, c’est encore une fois une décision collégiale bien plus simple à mettre sur la table quand tout le monde possède toutes les données du « problème »…).

La transparence, politique « confortable »

On se rend bien compte, au final, que les formules ne sont pas magiques, et surtout, qu’elles sont excessivement simples.

Chacun (manager, commercial, RH, collaborateur, client), est donc à même de mettre en perspective son activité et sa situation dans un contexte global (objectif, salaire, augmentations, prix de vente, investissements etc).

C’est un tout petit effort (tant du côté patronal que salarial), que de se départir de ces vieux « tabous » et secrets (de polichinelle, donc), mais cela permet d’avoir, avec tous, des discussions et actions constructives, dans tous les domaines.

Alors, pourquoi s’en priver ?